Les danses de fleurs au Vietnam : une inculturation vivante de la piété mariale
Rédigé par Augustin de Vandière, Séminariste MEP et ancien volontaire, le 19/12/2024
L’inculturation, processus par lequel l’Évangile s’enracine dans les cultures locales, prend une expression singulière au Vietnam à travers les danses de fleurs (vũ hoa). Ces pratiques, qui mêlent la piété mariale à des traditions artistiques locales, témoignent d’une féconde interaction entre foi et culture. Par leur beauté et leur profondeur, elles illustrent comment la foi chrétienne élève les expressions culturelles vers le spirituel en s’enrichissant des spécificités d’un peuple.
Origines des danses de fleurs
Introduites par les missionnaires au Vietnam, peut-être sous l’influence des Dominicains, les danses d’offrande de fleurs se sont intégrées à une culture déjà marquée par des rites et des processions pour honorer des figures sacrées ou des ancêtres. Ces pratiques ont trouvé un écho naturel chez un peuple habitué à exprimer sa dévotion par des gestes cérémoniels et artistiques ; l’idée d’honorer la Vierge Marie par l’offrande de fleurs s’est rapidement imposée comme une expression naturelle de la foi.
Le mois de mai, dédié à Marie dans la tradition catholique, est devenu un temps fort pour ces danses. Les paroisses organisent alors des processions accompagnées de chants, où jeunes filles et enfants, souvent vêtus de l’ao dai traditionnel, dansent et offrent des fleurs devant des statues de la Vierge Marie. Cette célébration reflète un riche mélange de foi chrétienne et de traditions culturelles vietnamiennes.
Symbolisme et structure des danses
Les fleurs, symboles universels de beauté et de pureté, jouent un rôle central. Chaque type de fleur porte une signification spirituelle : le lys pour la pureté, la rose pour l’amour, le lotus pour la foi. Les danseurs évoluent selon des chorégraphies gracieuses et stylisées, souvent organisées en formations symboliques, telles que des croix ou des lettres « A » et « M » pour Ave Maria.
La musique qui accompagne ces danses combine des influences locales et grégoriennes. Les mélodies, souvent issues du patrimoine musical vietnamien, se marient harmonieusement avec les rythmes sacrés pour créer une atmosphère propice à la prière et à la contemplation. Ce mariage entre musique et danse permet une prière corporelle qui engage tout l’être dans l’acte de dévotion.
L’exemple du Quan Ho : foi et culture en dialogue
La tradition des danses de fleurs s’inscrit également dans un contexte culturel plus large, où la foi chrétienne dialogue avec des pratiques artistiques comme le Quan Ho. Ce genre musical, inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, est une forme de chant alterné caractéristique de la région de Bac Ninh, où je fus volontaire MEP il y a 8 ans. Ses mélodies lyriques, souvent associées à des thèmes d’amour et de fraternité, partagent des valeurs proches de l’Évangile, et donc aisément transposables.
L’influence du Quan Ho se fait sentir dans les chants d’offrandes de fleurs, qui reprennent, dans cette région du nord du Vietnam, les structures poétiques et les rythmes propres à ce style musical. Ces adaptations renforcent le lien entre la foi chrétienne et les traditions culturelles locales, illustrant une manière d’intégrer la richesse de l’héritage vietnamien dans les célébrations religieuses.
De plus, les costumes portés lors des danses de fleurs, comme l’ao dai et les turbans, rappellent ceux des interprètes de Quan Ho. Ces éléments vestimentaires, à la fois traditionnels et élégants, incarnent la dignité et la solennité requises pour les offrandes. Ainsi, les danses de fleurs se nourrissent des codes esthétiques et spirituels du Quan Ho, enrichissant la piété mariale d’une dimension artistique et culturelle unique et vice versa. Ainsi, « l’Église, accueillant les valeurs des différentes cultures, devient la “sponsa ornata monilibus suis”, “l’épouse qui se pare de ses bijoux” (cf. Is 61, 10) » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 116).
Ces danses illustrent un exemple vivant d’inculturation, un processus que l’Église encourage pour harmoniser foi et culture (Gaudium et Spes, n° 53). En effet, la foi et la culture sont interconnectées, la foi étant le sel et le levain de la culture. Au Vietnam, la piété populaire s’est enrichie des expressions culturelles locales pour offrir une approche incarnée de la foi mariale.
Défis et adaptations modernes
Aujourd’hui, ces traditions rencontrent des défis liés à la modernité. Si les danses de fleurs restent populaires, elles tendent parfois à devenir des performances plus esthétiques que spirituelles, mettant davantage l’accent sur l’apparence que sur la dévotion. Certains craignent que l’essence de cette pratique ne se perde dans la quête de perfection technique ou dans l’utilisation excessive de moyens modernes, comme la musique enregistrée ou des costumes ostentatoires.
Pour préserver l’authenticité spirituelle de ces danses, il est crucial de maintenir l’équilibre entre tradition et innovation. Les chants et mouvements anciens, empreints de simplicité et de profondeur, doivent être valorisés, tandis que les innovations doivent enrichir, sans dénaturer, l’expression de foi.
Une tradition porteuse d’avenir
Les danses de fleurs au Vietnam incarnent une rencontre harmonieuse entre foi et culture. Elles montrent comment la dévotion mariale peut se transformer en un art vivant, mêlant prière, musique, danse et tradition. En cela, elles répondent à l’appel du pape François dans Evangelii Gaudium à « encourager et fortifier » les formes de piété populaire, qui sont des lieux privilégiés d’inculturation de l’Évangile.
Dans un monde globalisé, où les identités culturelles sont parfois menacées, ces danses rappellent l’importance de préserver les traditions locales tout en les ouvrant à la richesse universelle de l’Église. En offrant des fleurs à Marie, les Vietnamiens expriment non seulement leur amour pour la Mère de Dieu, mais aussi leur attachement à une culture qui est devenue un véhicule de la foi.
Ce témoignage de l’inculturation au Vietnam invite l’Église universelle à réfléchir sur l’importance de ces traditions dans la nouvelle évangélisation. Les danses de fleurs, par leur beauté et leur spiritualité, montrent que la foi, lorsqu’elle s’enracine dans une culture, peut devenir un levain pour toute la communauté.
Par Augustin de Vandière
Séminariste MEP et ancien volontaire